C’est un engouement effréné pour le paraître qui s’est emparé de notre société et qui est la cause d’une grande partie des maux dont souffre le pays. On veut tous être riches. On veut tous acquérir le dernier modèle de voiture, compter parmi les personnes les plus fortes et les plus remarquées. Quant aux conséquences, personne ne s’en soucie.
Les riches sont soit adulés par les uns soit détestés par les autres. Généralement, on voit en eux des prédateurs prêts à sauter sur les occasions qui leur permettent d’amasser plus d’argent aux dépens des pauvres et des démunis. C’est pourquoi, chez nous, les syndicats et les syndicalistes ou les gauchistes du marteau et de la faucille leur vouent une «haine sans borne».
Ce ressentiment est-il justifié ? Est-ce un crime d’être riche ? Faut-il demeurer un éternel pauvre pour bénéficier de la compassion des autres et, en particulier, de ceux qui ont fait des œuvres “caritatives” leur fonds de commerce ?
La voiture: signe ostentatoire
Il est vrai que la liste des riches en Tunisie n’affiche pas des fortunes de plusieurs milliers de milliards comme c’est le cas du patron d’Amazon, Jeff Bezos (194 milliards de dollars) ou du fondateur de Space X Elon Musk (184 milliards de dollars).
Toujours est-il qu’on compte parmi les 20 familles les plus riches de Tunisie des seuils allant de 343 milliards de nos millimes à plus de 10 milliards de dinars. Ces riches doivent leur renommée à leurs activités dans les domaines les plus divers (commerce, import-export, agroalimentaire, etc.).
Leur situation à l’égard de l’Etat et du fisc serait dans les normes. Mais comme il y a un “mais”, on remarque que de nouveaux riches investissent l’espace et perturbent le système économique du pays. Ils choisissent le chemin le plus court pour s’enrichir sans chercher à s’acquitter de leurs devoirs fiscaux ou à respecter les règles de la concurrence loyale.
Le seul but, pour eux, est d’arriver à amasser le plus de gain avec le minimum de frais. La corruption ou les moyens détournés sont leur arme de prédilection. Ils ne reculent devant rien et font tout pour imposer leur tempo et leurs agendas. Aussi, ne lésinent-ils pas sur les moyens au point qu’ils aboutissent aux pratiques mafieuses. C’est le cas des contrebandiers, des narcotrafiquants, des spéculateurs en tous genres et autres individus sans scrupules.
On peut, alors, supposer que des domaines comme la vente des pièces de rechange automobiles, la possession d’une station-service, ou le fait d’être un concessionnaire de voitures, un transitaire dans les douanes, un grossiste, etc. sont autant d’autoroutes pour devenir milliardaire dans notre pays.
Ces nouveaux riches s’affichent dans la vie publique. Le premier signe qui les trahit est, sans conteste, la voiture. Cela ne veut nullement dire que nous accusons tous ceux qui ont des voitures d’être des voleurs et des corrompus. Loin de là !
Toutefois, il y a de nombreux indices qui montrent que cette richesse ostentatoire est une preuve qui peut aider à repérer les personnes qui s’enrichissent par des moyens illégaux. Ce genre d’individus ne peuvent pas cacher leurs richesse et c’est en achetant des voitures de luxe dernier cri qu’ils peuvent sentir qu’ils ont réussi à se hisser dans les rangs de la société.
Les services économiques et financiers ont entre leurs mains des pistes susceptibles de les aider à lutter contre la corruption et limiter les abus de cette nouvelle race dont le but est de faire fortune à tout prix.
Quand on voit que le nombre d’immatriculations de nouvelles voitures atteint plus de 60.000/an, on comprend vite que le rythme d’enrichissement est, également, plus rapide. Auparavant, il fallait attendre des années pour passer d’une série de voitures à une autre (une série est l’équivalent de 10.000 voitures). Sans vouloir préjuger des nouveaux propriétaires de ces véhicules, force est de reconnaître qu’il y a, parmi eux, des possesseurs de biens mal acquis.
En effet, pour arriver à immatriculer un tel nombre de voitures en une seule année, il faut bien que les tunisiens soient d’un certain niveau. Or, on constate que ce même Tunisien s’appauvrit chaque jour un peu plus. En outre, on constate qu’il y a de nouvelles classes qui émergent et qui ne se gênent pas d’afficher leur richesse.
Bien sûr, posséder une voiture n’est pas du tout un crime. En 2021, l’achat de voitures populaires a progressé de près de 26%. On a enregistré près de 10.000 nouvelles acquisitions.
Appât du gain facile
Cela montre que le Tunisien est en droit d’avoir son propre moyen de déplacement vu l’état lamentable du transport public. Par contre, on peut voir sur nos routes des grosses cylindrées qui sillonnent nos régions et ne manquent pas d’attirer l’attention des passants. Ces véhicules appartiendraient, certes, à des gens qui les ont achetés avec leur propre argent ou avec l’aide de crédits. Mais vu le luxe et le type de voitures, on se demande d’où peut venir autant d’argent. Puisque ces bolides coûtent, comme on dit, les yeux de la tête. Des débuts de preuves peuvent être fournis.
On sait que le gain facile est, aujourd’hui, à la portée d’un bon nombre d’individus qui ont choisi la voie de la criminalité et de la délinquance (drogue, contrebande, financements suspects, etc.). Mais il y a aussi d’autres pistes comme celles de ces jeunes médecins ou pharmaciens ou d’autres métiers assez rentables qui font leurs premiers investissements dans la voiture.
De luxe, bien sûr ! Quitte à s’endetter pour un bout de temps et en profitant des avantages réglementaires dont ils bénéficient. C’est peut-être légitime, quoique …
D’autres catégories sociales viennent redistribuer les cartes. Voulant amasser, au plus vite, de grosses sommes afin de s’acheter de belles et somptueuses voitures, des agriculteurs ou autres commerçants se livrent à des augmentations effrénées des prix. C’est, d’ailleurs, ce qui se passe actuellement. Par exemple, les agriculteurs ne se contentent plus de prix raisonnables comme on en faisait autrefois. Ces prix sont alors triplés, quadruplés ou plus. Il n’est que de regarder les prix des fruits qui sont passés du simple au quintuple, voire plus. Les figues, par exemple, se vendaient, il y a une dizaine d’années, à 380 millimes le kilo pour passer, ensuite, à 840 millimes ou un dinar ! Aujourd’hui, ce prix est multiplié par onze et douze ! C’est inconcevable. Cela montre cette cupidité qui s’est emparée de tous nos agriculteurs (ou presque) et de la majorité écrasante de nos marchands et commerçants. On se livre à une course folle des prix. C’est à qui gagnera plus et plus vite.
En effet, tout le monde veut s’enrichir et se procurer des objets de luxe pour lui et sa famille. Une belle et puissante voiture pour le fils ou la fille ou les deux à la fois ne ferait de mal à personne. En fait, c’est cet engouement pour le paraître qui s’est emparé de notre société qui est la cause d’une grande partie des maux dont souffre le pays. On veut tous être riches. On veut tous avoir le dernier modèle de voiture, compter parmi les personnes les plus fortes et les plus remarquées.
Quant aux conséquences, personne ne s’en soucie.